Jeudi 14 janvier, depuis quatre mois maintenant votre petit dernier a intégré sa nouvelle école et vous voilà assis sur un banc trop petit, seul meuble d’un couloir qui résonne : vous attendez votre tour pour la première réunion parents-prof…. Eh oui c’est votre hantise : votre adorable petit Jean est un indéfectible cancre quand il s’agit d’algèbre. La porte s’ouvre, la prof de math vous prie de préciser de quel enfant vous êtes l’heureux parent, vous répondez « Jean ». Alors une triste routine se met en place : la prof commence par verdir, puis déverse un flot de reproches : « Jean est un j’en foutre ! Il n’a rien d’un matheux, il ne fait aucun effort ! Ses cahiers c’est du Picasso ! Ses devoirs ? Du Malevitch : un carré blanc sur fond blanc !».. Enfin bref, vous voilà propulsé sur la première marche du podium des parents indignes et en plus la perspective du rôti s’éloigne car le bilan d’un tel échec ne se fait pas en dix minutes.
Pourtant vous et votre conjoint(e) vous avez tout fait : cours des vacances, cours du soir, cours du matin, du midi et du quatre heure, aide personnalisées, professeur particulier… rien n’y fait… Le petit Jean est hermétique aux maths. Félicitations et menaces n’y font rien « ça rentre pas, c’est tout »
Certes vous avez tout fait, mais avez-vous pensé à tout ? Peut-être que le pauvre Jean ne peut tout simplement pas réussir en maths comme les autres élèves… Peut-être souffre-t-il de dyscalculie !
Qu’est-ce que la dyscalculie ?
La dyscalculie est un trouble de l’apprentissage portant spécifiquement sur les activités numériques. Elle s’exprime par une incapacité à comprendre la signification des nombres et/ou une incapacité à appliquer les principes mathématiques pour résoudre des problèmes.
La dyscalculie n’implique pas une déficience mentale (elle l’exclue même puisque l’on ne peut être dyscalculique et déficient mental) et apparait chez l’enfant alors que tous les autres paramètres semblent normaux (environnement social et scolaire normal, résultats scolaires normaux).
Elle fait partie de la famille des « dys » qui regroupent l’ensemble des troubles d’apprentissage du langage (vous aurez surement entendu parler de la dyslexie par exemple). Ici le trouble est de même nature que la dyslexie (qui est un problème d’apprentissage de la lecture et de l’écriture) mais se concentre sur la capacité à manier et comprendre le chiffre, qu’ils soient écrits où entendus.
La dyscalculie a été définie pour la première fois en 1974 par le chercheur Tchécoslovaque Kosc, comme
« un trouble structurel des capacités mathématiques ayant une origine génétique ou induite par un problème congénital affectant les aires cérébrales qui sont le substrat anatomophysiologique direct de la maturation des habiletés mathématiques sans trouble simultané des fonctions mentales plus générales »
Il s’agit de la même définition que les chercheurs en neurosciences cognitives utilisent aujourd’hui.
Ce qu’il faut retenir de cette définition qui parait bien scientifique, c’est tout d’abord que la dyscalculie est développementale : il s’agit d’une structure spécifique du cerveau : elle ne s’acquière pas on nait avec. Elle ensuite génétique : un enfant dyscalculique a de forte chance d’avoir un parent proche dyscalculique.
Notez qu’ici la dyscalculie se réfère uniquement à ce qu’on appelle « dyscalculie développementale ». Il y a un autre type de dyscalculie appelé «dyscalculie acquise » qui est donc acquise (généralement chez l’adulte) à la suite de lésions cérébrales ou accident vasculaire cérébral.
Prévalence de la Dyscalculie : est-ce rare ?
Non pas tant que cela : on estime que 3 à 6% de la population est plus ou moins atteinte de dyscalculie développementale. Cela représente environ une personne sur vingt. Il s’agit d’un pourcentage assez similaire à celui de la dyslexie mais en comparaison la dyscalculie est très peu étudiée et délaissée par la recherche. Contrairement à certains autres troubles d’apprentissage, la dyscalculie est autant susceptible d’affecter les filles que les garçons (généralement les « dys » affectent plus les petits garçons).
A noter néanmoins, les dyscalculiques sont surreprésentés dans la population dyslexique : on estime que 20% des dyslexiques sont aussi dyscalculiques.
Quels sont les signes de la Dyscalculie ? Comment la repère-t-on ?
Signes de la Dyscalculie durant la petite enfance
La dyscalculie est rarement identifiée dès le début tout simplement parce que les jeunes enfants font rarement des maths ! Néanmoins, certaines études américaines se sont concentrées sur l’identification des tous premiers symptômes de la dyscalculie :
- Incapacité à différencier les ordres de grandeur entre les nombres : il n’en comprend pas le sens.
- Manque de stratégies efficaces pour compter des objets
- Difficulté à identifier les numéros
- Impossibilité d’additionner des nombres simples (à un chiffre) de tête et spontanément
- Possède une mémoire de travail relativement faible.
Signes de la Dyscalculie chez les enfants d’âge scolaire
- Apprentissage long et fastidieux des premiers concepts mathématiques
- Très grosses difficultés dans l’apprentissage des tables de multiplication
- Compréhension très difficile des termes mathématiques (exemple : l’addition)
- Confusion entre les symboles et les chiffres (exemple 1+1=2)
- Difficulté à résoudre des problèmes mathématiques de base à l’aide d’addition, de soustraction, de multiplication et de division.
- Mauvaise mémorisation des faits chiffrés (par exemple un emploi du temps)
- Difficultés dans l’application de leurs connaissances et compétences pour résoudre des problèmes mathématiques, même quand ceux-ci paraissent acquis.
- Difficulté à retranscrire des éléments mathématiques compris : par exemple écrire une addition dans l’ordre logique (« 1=1+2 » au lieu de « 1+1=2 »)
- Fréquente inversion des chiffres simples et inversion des dizaines et unités (p. ex. 34 écrit comme 43)
- Difficulté à lire les énoncés de problèmes mathématiques
Signes de la Dyscalculie chez les adolescents et les adultes
- Difficulté à évaluer les petites quantités (en cuisine notamment)
- Difficulté à dénombrer (c’est-à-dire a évaluer une quantité de 1 à 4 sans compter)
- Grosses difficultés à retenir, énumérer ou retranscrire un numéro de téléphone
Si les concepts de base nécessaire aux mathématiques ne sont pas maîtrisés, de nombreux adolescents et adultes atteints de dyscalculie peuvent éprouver de grandes difficultés à progresser dans la matière et s’aligner avec le niveau de leur âge. En effet les troubles de l’acquisition du langage complexifient grandement l’acquisition du vocabulaire propre aux mathématiques et risquent de nuire aux capacités à raisonner par étape ou identifier les étapes nécessaires à un calcul un peu élaboré.
Quelles sont les causes de la dyscalculie ?
Dyscalculie: que se passe-t-il dans le cerveau ?
Reprenons le vieil adage : « tout ce que je sais c’est que je ne sais rien »… C’est un peu sévère de citer Socrate sur les causes de la dyscalculie, mais il faut bien avouer que les neurosciences sont encore bien jeunes et n’ont pas eu le temps de se concentrer sur la problématique de la dyscalculie. Néanmoins l’on sait que la dyscalculie développementale est probablement provoquée par une différence de fonctionnement du cerveau, et/ou de sa structure ; et ce dans les zones impliqué dans traitement des informations numériques. Ce dont on est sûr c’est que la dyscalculie implique le sillon intra pariétal et la zone frontale et se traduit par une sous-utilisation de ce dernier dans les opérations mathématiques. Pourquoi cette sous-utilisation ? Cela reste un mystère.
En fait cette recherche en est à ces tout début, encore moins que pour la dyslexie, tout simplement parce qu’on en sait encore moins sur les aires cérébrales impliquées dans le calcul mathématique que dans celles impliquées dans le langage.
De plus la plupart des recherches concernant les difficultés mathématiques se sont concentrés sur d’autres types d’affection, comme le syndrome de Turner (alcoolisme fœtal) ou l’impact des naissances prématurées sur la densité neurologique et l’activité moyenne du fameux sillon pariétal.
Généralement, ces études ne concernent pas directement la dyscalculie qui reste un diagnostic d’exclusion : c’est-à-dire qu’elle exclut tous les autres syndromes connus. En cela la dyscalculie, comme l’ensemble des troubles dys, représente une sorte de sac à frite des altérations neurologiques que l’on ne comprend pas encore véritablement.
Pourquoi les dys viennent rarement seuls ?
La dyscalculie cohabite souvent avec les autres difficultés d’apprentissage tel que la dyslexie, la dyspraxie, les déficits de l’attention et hyperactivité (TDAH) et bien d’autres. C’est probablement parce que les facteurs environnementaux et génétiques qui affectent le développement du cerveau sont susceptibles d’agir sur plusieurs zones du cerveau à la fois.
Comment diagnostique t on la Dyscalculie ?
Le diagnostic de la dyscalculie se fait par exclusion des autres troubles pouvant provoquer des symptômes similaires. Aussi les tests et bilans à réaliser avant de parler de dyscalculie sont assez nombreux. Ils seront généralement supervisés par le médecin traitant ou le médecin scolaire.
Ces tests seront de plusieurs ordres :
- Un bilan orthophonique complet pour définir les contours du problème de dyscalculie
- Une consultation psychologique avec un test de QI et/ou de tests de personnalité ;
- Potentiellement, et sur avis du médecin, un rendez-vous chez un neuropédiatre (pédiatre spécialiste des maladies du système nerveux) si d’autres troubles de l’apprentissage sont suspectés
Et après : comment traite t on la dyscalculie ? Est-on condamné à faire un bac L ?
« Le plastique c’est fantastique » chantonnait on il y a une vingtaine d’année. Et bien sachez que le cerveau ; c’est tout pareil ! Tout simplement parce que le cerveau est capable de changer : c’est la notion de « plasticité cérébrale ». Les circuits neuronaux se transforment avec les expériences de vie et la sur-sollicitation de certaines aires cérébrales. Donc une rééducation est possible !
Mais cette rééducation doit intervenir le plus tôt possible : la plasticité cérébrale, si elle ne disparaît jamais, diminue avec l’âge.
L’objectif de cette rééducation sera principalement de trouver une méthode d’apprentissage personnalisée pour votre enfant au cours de séances hebdomadaires assez courtes (20 à 30 minutes par séance) qui aideront l’enfant à mieux appréhender les chiffres et l’algèbre de manière générale. Magie de la plasticité cérébrale, les premiers signes d’amélioration seront perceptibles dès les premiers mois.
De plus L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a conçu et publié un programme informatique destiné à l’entrainement des enfants dyscalculiques via une approche assez ludique basée sur le jeu. Une demi-heure d’utilisation par jour permet de parfaitement compléter les séances chez l’orthophoniste et pourra amplifier les progrès réalisés dans une période assez courte (une trentaine de jours).
Le carré blanc sur fond blanc, c’est Malevitch…
Erffff.
Mea maxima culpa : c’est corrigé !
Un grand merci à vous !