La sensibilité est un concept très relatif, car profondément inscrit dans la manière dont notre cerveau traite les informations de notre environnement. Pour se mettre en condition, faisons un petit effort d’imagination :
Après une dure journée de labeur, votre plaisir secret : une bonne séance de cinéma. Cela tombe bien le dernier thriller plein d’effets spéciaux vient de sortir et l’affiche promet son lot de sensation forte. Vous êtes confortablement installé, la projection commence. Mais à côté de vous votre voisin commence à devenir un peu bizarre et au fil du film, franchement étrange.
Il pleure pour un oui ou pour un non, se recroqueville bruyamment quand le méchant blesse le héros ; s’insurge à voix basse quand la belle est prise en otage par une bande sans vergogne. Enfin un cri de joie lui échappe (en vous perçant les tympans) quand le héros viril tire dans le tas et délivre la malheureuse qui avait bien cru voir venir son heure.
Un peu énervé vous le gratifiez d’un « Non mais faut vous tenir : c’est une fiction et rien ne justifie de sur-réagir comme cela ! ». Mais peine perdue : vous aviez à coté de vous un vrai hypersensible et vous auriez lu l’article ci-dessous, vous n’auriez pas été aussi rude avec lui !
Bon certes pour le besoin de l’exercice j’ai grossi le trait, mais le fait est que pour un individu normalement sensible, côtoyer un hypersensible peut être franchement déroutant car l’intensité des réactions de ce dernier laisse penser que « quelque chose ne va pas ».
Pourtant pour 20% de la population l’hypersensibilité est une réalité quotidienne.
Alors pour enfin comprendre les hypersensibles et apprendre à les reconnaître, voici un petit article de 2 500 mots rien que pour vous !
L’hypersensibilité : une normalité retrouvée chez 20% de la population
Détecté dans environ 20% de la population, l’hypersensibilité a été principalement décrite et étudiée par le Dr Elaine Aron, psychologue américain de renom. Cette dernière insiste particulièrement sur deux choses. D’abord que l’hypersensibilité est un caractère inné ; c’est-à-dire qu’il existe chez un individu dès sa naissance. Ensuite, que l’hypersensibilité n’est en rien une « pathologie » mais une forme de « normalité »: si ce trait est autant une bénédiction qu’une malédiction, le fait de le retrouver chez 15 à 20% de la population implique qu’il est trop récurrent pour être un désordre, mais pas assez pour être bien compris par la majorité dans nos sociétés. D’où son combat pour faire reconnaitre que l’hypersensibilité n’a rien d’un trouble mais tout d’une variante dans les stratégies de survie propres à chaque espèce.
En fait, Aron insiste bien sur le fait que cette caractéristique n’est pas une nouvelle découverte, mais qu’elle a été juste mal comprise. Parce que les hypersensibles préfèrent réfléchir et évaluer avant de s’exposer à de nouvelles situations, ils sont souvent appelés « timides ». Mais la timidité est apprise, pas innée. En fait, 30% des hypersensibles sont extravertis, bien que le trait soit souvent étiqueté comme introversion. Il a même parfois été considéré comme une forme de névrose ; une crainte irrationnelle devant l’action. Certes certains hypersensibles peuvent être pris dans de telle névroses, mais celle-ci ont été acquises lors d’un événement particulier ; elles ne sont pas innées – à l’instar de l’hypersensibilité qui – elle – relève du fonctionnement même de l’individu dès sa naissance.
Qui se caractérise par un traitement plus fin de l’information
La personne hypersensible possède un système nerveux sensible doublé d’une capacité de traitement neuronal supérieur. En conséquence elle est à même d’être consciente des subtilités de son environnement, et est plus facilement submergée lorsque qu’elle se trouve dans un environnement très stimulant.
Au-delà de cette définition un peu froide, la qualité première des hypersensibles est de traiter les informations qui les environnent de manière beaucoup plus fine que les 80% restant de la population. Ils sont plus à même de les isoler, de les penser en décelant leurs enjeux et conséquences propres ainsi que faire des associations entre elles.
Comme ce traitement n’est pas pleinement conscient, il fait surface sous la forme d’intuitions –c’est-à-dire une opinion qu’il est impossible de démontrer, le processus intellectuel ayant amené la solution au problème posé étant trop rapide pour être capté et stocké par le cerveau. Pour plus d’information voir la description des processus cognitifs chez les individus surdoués car sur ce point il s’apparente fortement à ce que le docteur Aron a mis en évidence chez les hypersensibles.
Être hypersensible relève avant tout d’une stratégie de survie que l’on retrouve dans une multitude d’espèces – mais toujours dans une minorité de ses membres.
En fait, les biologistes ont trouvé des caractères hypersensibles chez des individus de plus de 100 espèces (et la réalité est probablement qu’il y en a beaucoup plus) parmi lesquelles on retrouve non seulement des chiens, chats, chevaux ou des primates ; mais aussi des mouches des fruits, des oiseaux ou des poissons ! Ce trait reflète donc avant tout un certain type de stratégie de survie, une manière d’être plus attentif avant d’agir grâce à un cerveau qui fonctionne un peu différemment des autres.
Et qui se traduit par une « surcharge » émotionnelle et sensorielle
L’expression de l’hypersensibilité variera énormément selon le contexte de l’individu et le comportement de son entourage à l’encontre de ses « surcharges » émotionnelles.
Tout d’abord il faut savoir que l’hypersensible ressent tout en beaucoup plus fort.
Cette hypersensibilité est bien sur émotionnelle, mais aussi sensorielle : un pull qui gratte, une étiquette qui irrite, une odeur qui dérange…
Les effets sensoriels de l’hypersensibilité sont assez évidents et leurs implication généralement limitées (on achètera plutôt un pull en cachemire qu’en polyester quitte à manger des pâtes pendant 10 jours).
Les effets affectifs et émotionnels doivent-eux- être plus longuement abordés.
Peu compris par leur entourage qui ne cesse de leur rabâcher : « ne soit pas si sensible », « ne prend pas les choses tellement à cœur » ou encore « laisse filer, ce n’est rien ; tu sur-réagis alors pense à autre chose », les hypersensibles se sentent constamment sur la corde raide. En conséquence, accès de colère, crise de larmes, défense par l’agressivité, ou renonciation par le repli sur soi sont fréquents et aggrave le sentiment d’isolement, ces comportements étant jugés par la majorité comme irrationnels et « pathologiques ». Ainsi un cercle vicieux se met en place : plus l’hypersensible a le sentiment d’être isolé, plus il exprimera sa sensibilité de manière forte, plus son entourage sera enclin à le sermonner et plus ces derniers seront blessés par la critique et obnubilé par ces mots qui les heurtent. Si aucun frein ne vient le contraindre, son quotient émotionnel hors norme finit par s’autoalimenter dans une spirale dépressive.
En parallèle, l’image dégradée d’eux-mêmes renvoyée par une société qui ne cesse de remettre en question l’intensité de leurs émotions, finit par les plonger dans une grande mésestime d’eux-mêmes, dans une grande fragilité identitaire.
A ce stade le gros danger consiste à lâcher prise en refoulant ses émotions pour ne plus subir la critique. Ainsi l’hypersensible peut tamiser le feu qui est en lui pour paraitre « moyen ». Mais c’est négliger le fait que les émotions ne cicatrisent pas quand elles sont étouffées ; la pression montante jour après jour, le risque d’une « explosion » (dépression, drogues, suicides…) devient réel : le non-dit tue. Alors si refouler n’est pas une bonne idée la seule solution pour l’hypersensible est d’accepter sa nature et la force de ses émotions. C’est le premier pas vers la vraie solution : apprendre ensuite à gérer et canaliser ce flux trop puissant pour être longtemps étouffé. Et en matière de défouloir, les possibilités sont nombreuses : se lancer dans un sport de combats ou un sport d’endurance ; s’initier à une activité créatrice, ranger dix fois de suite le garage ou tondre le gazon au ciseau : qu’importe l’exutoire tant cette activité soit libératrice du trop plein d’émotions. Pour résumer en citant un hypersensible notoire (Alfred de Musset) : « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse « (par contre ne prenez pas cette phrase au premier degré – au risque de terminer comme son auteur !)
Entre quête de l’approbation et empathie : l’hypersensible et les autres
L’hypersensible est un être empathique qui se caractérise par un humanisme à toute épreuve. On le retrouvera souvent se porter volontaire en premier pour le déménagement de la mansarde au 6ieme étage sans ascenseur, pour accueillir ce stagiaire dont personne ne veut s’encombrer et passer un temps fou pour lui transmettre sa passion, pour s’engager dans un projet humanitaire au détriment de ses espoirs de rémunérations…. Plus à même de comprendre leur environnement, ils parviennent beaucoup plus rapidement à comprendre l’autre et ses intentions, à ressentir ce que l’altérité ressent.
Aussi ses élans de générosité sont fréquents et désintéressé (généralement il ne possède pas un grand esprit de compétition). Mais a contrario, il peut ressentir toute la douleur du monde comme si elle lui était propre, d’où une impression de porter seul sur ses épaules toute la misère du monde.
Les hypersensibles sont aussi caractérisés par le désir d’être aimé et de vivre en harmonie ; c’est à dire sans conflits. Paradoxalement ils attachent une grande importance au regard des autres, alors même que ces derniers ont du mal à saisir leurs élans ou comprendre comment ne pas heurter leur sensibilité. D’où des conflits qui peuvent éclater du décalage entre ce que peut offrir l’individu normal et ce qu’attend l’individu hypersensible de sa relation à l’autre. Et le perdant sera toujours l’hypersensible qui se voit doublement meurtris : d’abord car il déteste le conflit, ensuite parce qu’il ne retrouve pas dans sa relation à autrui ce désir d’amour qui l’anime.
(Se) Reconnaitre (l’) hypersensible : signes fréquemment constatés
Suis-je hypersensible ? Mon petit dernier est-il hypersensible ? Les occasions de se poser cette question sont multiples, mais la réponse est toujours malaisée. Pour être bien clair, je tiens à souligner que seul un diagnostic chez un professionnel spécialisé peut être considéré comme valable. Néanmoins, étant donné les coûts associés à cette démarche, mieux vaut se poser la question sérieusement avant de sauter le pas. D’où cette petite check-list des signes constatés chez les hypersensibles, qui a pour unique vocation de vous mettre la puce à l’oreille – et peut être vous aider à franchir le pas d’un diagnostic.
- Vous ressentez tout avec force
Vos émotions sont vives, pratiquement palpables. Vous pouvez être transporté facilement, que ce soit au travers d’un jeu, d’un film, d’un livre, ou tout simplement par une interaction dans la rue. Certaines émotions fortes comme l’amour ou la colère sont ressenties « physiquement », comme un étourdissement ou un vertige.
- Vous êtes le premier à savoir qu’untel est amoureux ou qu’il ne se sent pas bien
Vous pouvez souvent dire ce que quelqu’un ressent, ou quand quelque chose ne va pas chez ceux que vous fréquentez.
- Vous n’êtes pas trop porté sur les « équipes » au sport comme au travail
Les hypersensibles peuvent avoir tendance à éviter les sports d’équipe car ils supportent mal que les espoirs d’un groupe reposent en partie sur eux : ils ont bien trop peur de décevoir. D’ailleurs, ils ont généralement peur d’être observés ou jugés. Même l’idée d’une salle de sport commune vous est désagréable : toujours cette crainte d’être observé et jugé.
Question professionnel, le travail depuis la maison est votre eldorado : là-bas vous contrôlez votre environnement, et vous bénéficiez de l’intimité nécessaire à votre bonne concentration. A contrario l’open space vous donne des boutons, et le seul moyen d’y survivre est de se visser un casque audio sur la tête.
- Généralement vous êtes considéré comme poli, plaisant… et incapable de dire non
Vous êtes polis : vous remarquez toujours quand les gens disent « s’il vous plaît » et « Merci », et vous avez toujours pris soin de ne jamais oublier de le faire vous-même. Au fond, vous avez peur d’offenser les gens, donc vous vous assurez de toujours être impeccables y compris avec ceux que vous connaissez bien.
Vous êtes plaisants : émettre une critique est extrêmement compliqué pour vous et vous êtes souvent amené à faire mille circonvolutions pour dire quelque chose de désagréable à entendre. Mais c’est normal, il est tellement important que l’on vous aime, ne serait-ce parce que le conflit est tellement épuisant
Vous ne savez pas dire non : vous avez parfois si peur de blesser ou d’offenser quelqu’un que vous dîtes oui même quand ce que l’on vous demande vous ennuie où vous rebute. Comme ce déménagement le lendemain du dernier marathon couru…
- Vous êtes indécis : une décision même petite peut vous prendre des siècles
Votre hypersensibilité rend la crainte ou le désagrément des mauvaises décisions exponentiel. Aussi vous devez explorer tous les impacts et toutes les solutions possibles avant de prendre une décision. Mais au moins vous êtes sûr que c’est la bonne.
- Vous êtes incroyablement attentif
Vous êtes bien une personne orientée vers le détail. Vous remarquez chaque petite nuance. Vous avez tendance à vous retrouver saturé d’informations en étant simplement à l’extérieur, surtout pendant les changements de saisons. Vous remarquez souvent très tôt que l’automne s’annonce ou que l’Eté arrive. En rentrant à la maison vous êtes à même de commenter l’air que vous avez respiré (il était plus froid et sentait la feuille… l’automne s’annonce)
- Vous êtes un peu perfectionniste
Parce que vous êtes une personne si orientée vers le détail, vous remarquez des erreurs beaucoup plus vite que les autres. Vous avez tendance à être un perfectionniste dans beaucoup de choses que surtout si vous travaillez dans un domaine qui vous passionne.
- Vous pouvez savoir pleurer (ou avoir un nœud dans la gorge)
Pour vous, pleurer n’est pas toujours un signe de désespoir, c’est un signe d’être vivant. Si vous avez intégré la notion de « virilité insensible » propre à notre culture, vous ne pleurez pas mais votre voix se brise sous la pression d’un gros nœud dans la gorge.
- On vous a déjà dit trois fois cette semaine « ne prends pas cela tellement à cœur »
Ou alors : « ne soit pas si sensible » ou bien encore « Mais stop là ; y a pas mort d’homme » …
- … Et en parallèle ceux qui vous aiment ne cessent de vous rassurer
On vous dit très souvent de ne pas vous inquiéter, parce que « ce n’est tout simplement pas la peine» On anticipe vos colères « en prenant des gants ».
- Vous ne supportez pas la douleur
A chaque fois que vous prenez rendez-vous, le dentiste refait son stock d’anesthésiant… Eh oui vous ne supportez pas la douleur ni même l’idée de potentiellement l’éprouver.
Un mal de tête est atroce, un mal de ventre est insoutenable et vous avez tendance à gober aspirine sur aspirine.
- Vous êtes facilement effrayé
Vous êtes plus sensible à la violence et aux situations effrayantes, y compris au cinéma. C’est normal vous êtes empathique : si l’acteur est convainquant vous ressentez ce que lui… ne ressent pas !
- Vos sens sont facilement agressés
Une diode bleue dans l’entrée qui ne s’éteint pas la nuit, la livraison du supermarché d’en bas, le tictac d’une horloge, le parfum trop musqué de la voisine : des bruits, odeurs ou lumières anodins ou moyennement dérangeant pour toute la famille sont insupportables pour vous.
- Vous êtes considéré comme super créatif (quand vous êtes à l’aise)
Vous pouvez penser « en dehors des sentiers battus ». Votre esprit semble fonctionner d’une manière différente que la plupart. Vous avez une passion pour un hobby créatif, comme la peinture, la musique ou l’écriture.
- Vous n’êtes pas la seule personne hypersensible dans votre famille directe
La sensibilité est un trait héréditaire, tout comme la douance. Si vous vous découvrez hypersensible ; ouvrez les yeux : quelqu’un autour de vous l’est aussi. Au fond je parie que vous savez déjà qui…